Parce que j'ai prêté serment!
24 mai 2020
Je me réveille en sursaut, l'esprit un peu embrouillé, le souffle alertant, le coeur battant à un rythme effréné.. Oui, mon coeur battait avec un désordre insolent, mon cou battait, et je me sentais étouffée.. Étaient-ce mes oreilles qui me trompaient ou m'avait-on vraiment appelé au téléphone ? Il y a de ces sonneries, quand tu les entends, à certaines heures de la nuit, tout ton être entier sait qu'il y a une urgence... Ce jour là, il sonnait 02h du matin..Recrutée dans un cabinet médical, hors de Lomé, j'étais Sage-femme responsable de maternité. Je m'appliquais vraiment à donner le meilleur de moi même.D'abord, bien avant, dans la journée terminée, j'avais assisté une dame pour son accouchement. Tout se passa plutôt bien.Nous acceuillâmes un joli petit garçon, vigoureux, tout rose, qui alertait déjà toute la maternité de sa venue par des cris stridents. Ces cris qui font ma joie. Ces cris qui me font sentir mère d'un coup. Ces cris qui marquent la vie. Ces cris qui nous rappellent que nos efforts n'ont pas été vains. Ces cris qui nous rappellent que Dieu est grand. Les parents étaient très joyeux, le père surtout. Un héritier lui était né. Vraiment c'était pour lui, une faveur de Dieu. Après la naissance de cinq filles, avoir un garçon est une fête, surtout chez nous en Afrique.Je pris congé de la nouvelle maman et de mon tout mignon bébé. Je regagnis mon bureau, fatiguée mais heureuse. Heureuse d'avoir accueilli un être de plus. Il sonnait déjà 18:30. Je rangeai rapidement mes affaires. Je me changeai, de la blouse rose, trempée de sueur, je passais à une chemise bleu turquoise, un pantalon noir et mes baskets. La Sage-femme moderne fashion.. rires. Rapidement je rentrai à la maison, écrasée de fatigue, je me fis à manger, le repas avait-il bon goût ? Je ne faisais plus attention, je voulais me coucher.A peine mon corps toucha le lit.. Je m'assoupis. Hum enfin... Mais mon bonheur fut de courte durée...J'entendis mon portable sonner. Je crus rêver. La personne insistait, insistait encore. A peine l'oeil ouvert, la tête lourde je décrochai:-Allô? Oui? -Sage, excusez moi, il y a la femme de Daouda qui est venue. -Kady n'est pas là ? -Oui c'est moi Kady, Sage j'ai besoin de toi.Kady c'était l'Aide-soignante. Une femme d'à peine 30ans, musulmane et très polie. J'ai voulu un temps pleurer de rage, j'étais épuisée. Je voulais une seule chose: dormir jusqu'à 06h au moins. Mais hélas, j'ai prêté serment.Tout mon être était dérangé. Je me suis levée malgré moi, j'enfilai mon pantalon, je mis une camisole. A peine la porte fermée, je descendais les escaliers avec une telle vitesse, on aurait dit qu'un fantôme me poursuivait. Le gardien de la maison, réveillé par mes pas, dans un élan vif, se mit sur pied.-Ah tata encore un accouchement surprise? -Oui Moustapha. -Courage.Un autre calvaire m'attendait. A cette heure de la nuit, les taxis motos étaient déjà chez eux. Les seuls qui se hasardaient à sortir tard étaient visiblement absents. Que faire? Dans un quartier de la périphérie de Lomé où seuls les hommes pouvaient sortir à cette heure sans crainte. Un quartier pas totalement éclairé, où des échos de vols, braquages sont légion.Me voici, jeune femme, mince comme une tige de "Fonio", en route, seule, dans cette rue déserte. Les cris des hiboux me tétanisaient. Tantôt, un chat passait rapidement, tantôt un chien errant.Pas de taxi moto. Que mes deux pieds. Je pris mon courage à deux mains et j'avançais. Je fis cette prière : "Éternel Dieu, toi qui est en haut et me voit cette nuit. Tu sais bien que c'est pour sauver une vie que je sors cette nuit. J'ai laissé mes parents dans un autre pays, je n'ai personne à part toi. Si un bandit me tuait, je suis certaine que ta conscience ne serait pas tranquille. Moi je m'en vais Seigneur. Au revoir".Je sentais un froid glacial dans le dos. Vingt-cinq à trente minutes de marche. Je regagnai la petite clinique. Avec un ouf de soulagement.Un sieur m'acceuilla déjà au seuil de la salle d'attente.- "Bonzour". C'est toi la "saz-femme"..? - D'un air un peu étonné et désintéressé à la fois, je répondis : c'est bien moi. Ne sachant pas que j'étais polyglotte, et que je comprends déjà quatre langues du milieu, le monsieur disait: "Donc c'est cette petite femme qui va accoucher ma femme?".Je voulus réagir mais j'avais mieux à faire. Un bébé allait venir au monde, les autres petits détails, pour le moment, je n'en veux pas.Une fois arrivée en salle d'accouchement, rapidement Kady me présenta le carnet avec tous le protocole d'examens. Visage un peu renfrogné, je dis:- Kady, tu peux pas gérer ça avant mon arrivée ? - Sage, c'est un peu délicat.J'examinai la dame, ce n'était pas un accouchement comme les autres. Le bébé est en "position de siège". Voici commença un autre épisode de veille, d'auscultation, d'encouragements.Ce récit n'est qu'un cas isolé parmi tant d'autres. Certains peuvent être plus dramatiques, d'autres non.Je voulais simplement attirer notre attention sur un fait. Être Sage-femme, c'est un sacerdoce royal. Sacrifier son sommeil, ses petits moments de répit, ses repas parfois, parce qu'on ne désire qu'une chose: le bien-être du couple mère-enfant. Là où les grands hôpitaux ne sont pas encore installés, la Sage-femme est là et s'occupe des femmes du mieux qu'elle peut.Elle laisse parfois sa famille dans une autre ville, le coeur serré. Mais le devoir reste le devoir.Elle fait face à l'humeur dégradante de certaines patientes.Elle est celle qui écoute les problèmes des autres femmes, mais parfois n'a personne à qui parler des siens.Elle est celle qui laisse sa famille pour parfois 48h. Elle est celle qui aide une autre à donner vie, malgré qu'elle même soit enceinte.Elle est celle qui manque de sommeil quand l'une des patientes à un soucis de santé vraiment grave.Au delà de l'image qu'on donne aux Sage-femmes, il existe des réalités que tout le monde ne voit pas.Être Sage-femme c'est donner une partie de son coeur pour l'amour des autres. C'est s'effacer pour laisser paraître les autres. C'est aussi pleurer de joie, parce qu'on tient dans sa main, un être vivant. Il n'y a rien qui dépasse le fait de sentir le coeur d'un être battre.Être Sage-femme, c'est être la béquille d'une autre femme.Loin des artifices et du confort des villes, il y a de braves femmes dans les hameaux, qui abattent un travail immense. Le plateau technique parfois défaillant, l'accès à la maternité difficile à cause de l'état des routes, ces guerrières sont au chevet de nos femmes.Respect à toutes les sages femmes du monde. Vous êtes une race élue, vous accomplissez un sacerdoce royal.Es-tu Sage-femme ? As-tu un souvenir inoubliable avec une Sage-femme ? Raconte-nous tout. On a envie de savoir 😊Signé, Léa KENOU.
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